Manifeste pour une démocratie plus directe

Changer de régime politique en Belgique

Version du 25 août 2024

  1. Quatre fois par an, à des dates connues vingt ans à l’avance1, les citoyens suisses approuvent ou désapprouvent des propositions2 aux niveaux communal, cantonal ou fédéral. Une fois tous les cinq ou six ans, les citoyens belges élisent ceux qui décideront à leur place, à tous les niveaux de pouvoir. En six ans, les uns votent donc une fois, là où les autres votent cinquante fois, voire plus ! En Suisse, 91% de la population se dit assez intéressée ou très intéressée par la politique. L’Initiative populaire, le référendum et le droit de vote sont des mécanismes très appréciés (plus de 80% d’opinions favorables dans chaque cas)3. En Belgique, sept belges sur dix se méfient de la politique, voire éprouvent un sentiment de dégoût à son égard4.
  1. Les institutions politiques suisses ne sont certainement pas parfaites, mais ce sont celles d’un état fédéral plurilingue, d’une taille similaire à la Belgique, et dans lesquelles les citoyens bénéficient de longue date des droits politiques5 les plus étendus au monde, en articulation étroite avec des assemblées élues.
  1. Quels sont ces droits politiques que les citoyens belges ne connaissent pas ?
    1. le référendum obligatoire (c’est-à-dire qui doit être organisé) sur les modifications constitutionnelles voulues par le Parlement fédéral,
    2. le référendum d’initiative populaire sur des projets de modifications constitutionnelles souhaités par un nombre minimum de citoyens,
    3. le référendum facultatif d’initiative populaire sur les projets de loi adoptés par le Parlement fédéral.
    4. S’ajoutent, aux autres niveaux de pouvoir que fédéral, notamment l’initiative populaire en matière législative ou encore le référendum financier (obligatoire à partir d’un certain montant prévu pour une dépense publique).
  1. En effet, en Belgique, les droits politiques sont quasiment réduits à leur plus simple expression, soit désigner des représentants (et se présenter comme candidat). Or le simple droit de voter pour des candidats lors d’élections ne permet – au mieux – que d’orienter les affaires publiques de façon très générale. Les citoyens sont censés trancher – par un seul vote ! – entre des « offres » politiques globales, qui portent sur de multiples mesures et par conséquent sont souvent simplifiées à l’extrême au travers de slogans séducteurs, voire trompeurs. Les élections ne leur permettent pas d’exprimer leurs opinions de façon nuancée sur des questions déterminées et, en quelque sorte, figent ces opinions pour cinq ans.
  1. Autrement dit, alors que de nombreuses décisions politiques nous concernent directement ou concernent la société dans laquelle nous voulons vivre, au lendemain des élections nous sommes déresponsabilisés et renvoyés au rôle de spectateurs plus ou moins réactifs de la vie politique. le pouvoir formel d’initiative et de décision se concentre alors dans les mains des gouvernants, réduisant l’immense majorité à l’inexpérience politique et au sentiment d’impuissance dans les affaires publiques. La politique est chose lointaine, une sphère d’activité séparée et, pour beaucoup, incompréhensible, elle suscite donc la méfiance et le rejet. Les citoyens n’ont pas de prise sur beaucoup de leviers de leur vie, ils n’éprouvent aucunement leur autonomie collective, c’est-à-dire le fait de vivre selon des règles « codécidées », dans lesquelles ils pourraient reconnaître le résultat d’un processus délibératif, équitable, transparent et participatif.
  1. Non seulement donc la démocratie belge, strictement représentative, est critiquable du point de vue des droits et de l’égale liberté des citoyens, mais de plus elle manque d’efficacité démocratique : elle serait nettement améliorée grâce à une pratique régulière et bien balisée des référendums obligatoires et d’initiative populaire.
  1. En effet, l’information circule très mal entre les élus et les citoyens. Du côté des citoyens, en dehors des périodes électorales (dont on a dit les importantes limites plus haut), il n’y a pas de débats publics réguliers qu’ils seraient appelés à arbitrer et pour lesquels ils auraient besoin de s’informer. Or les opinions des citoyens seraient bien mieux éclairées par des débats fréquents, ouverts à un plus grand nombre d’acteurs et portant sur des problèmes déterminés et les réponses possibles à ceux-ci, plutôt que sur des promesses électorales incertaines formulées tous les cinq ans.
  1. L’information des élus en serait également nettement améliorée. Grâce à ces débats et aux résultats des votes réguliers sur des questions diverses, ils auraient une connaissance bien plus fine, bien moins idéologique de la « volonté populaire » qui les mandate. Cela permettrait aussi de rendre plus transparente que dans la démocratie représentative l’influence des groupes d’intérêt. Notons encore que cette voie renforcera, en amont des décisions, le dialogue préventif et inclusif ainsi que la confiance entre les élus et la société civile, ce qui (re)donnera de la crédibilité à des procédures participatives et consultatives de plus en plus discréditées. Ainsi la démocratie référendaire est-elle le complément absolument indispensable de la démocratie représentative aussi bien du point de vue des droits citoyens que de celui de l’efficacité démocratique.
  1. Nous connaissons tous les principales objections faites à cette volonté démocratique, ce sont les mêmes qui étaient déjà opposées au suffrage universel : l’incompétence des citoyens face à des questions politiques trop complexes et la qualité des délibérations entre professionnels de la politique que ne permettent pas les référendums.
  1. Nous soutenons que l’incompétence éventuelle des citoyens est le résultat de leur inexpérience et qu’il y a donc lieu dans une vision progressiste de la société de rompre ce cercle vicieux de l’inexpérience et de l’incompétence en développant l’expérience politique de chacun de façon crédible. « Pour que les gens participent, il faut qu’ils aient la certitude, constamment vérifiée, que leur participation ou leur abstention feront une différence. Et cela n’est possible que s’il s’agit de participer à la prise de décisions effectives, qui affectent leur vie »6.
  1. De plus, dans le cadre de questions déterminées, il est toujours possible de distinguer les principes généraux, sur lesquels tout un chacun pourrait se prononcer, des modalités techniques. Il est d’ailleurs douteux que celles-ci seraient intrinsèquement inexplicables, quelles que soient les méthodes pédagogiques mises en œuvre.
  1. En ce qui concerne la qualité des délibérations que permettrait une pratique régulière des référendums, il y aurait lieu, d’une part, de ne pas surestimer les délibérations parlementaires généralement soumises à la discipline des partis et la logique majorité contre opposition. D’autre part, il ne faut pas non plus sous-estimer les possibilités délibératives des référendums: ceux-ci peuvent être éclairés par une délibération préalable du Parlement comme par celle d’un panel citoyen, les référendums peuvent se dérouler en deux tours du moins pour les questions les plus importantes… Enfin des règles prudentielles peuvent être adoptées pour éviter les questions portant atteinte aux droits fondamentaux.
  1. C’est pourquoi nous revendiquons que le pouvoir de décision sur les affaires publiques soit exercé non seulement par des représentants élus à échéances régulières au travers d’assemblées (comme les parlements et les conseils communaux), mais aussi par les citoyens eux-mêmes sur base de procédures permettant à chacun de se prononcer : les référendums obligatoires et d’initiative populaire. Le pouvoir du dernier mot revenant aux citoyens eux-mêmes car ils doivent pouvoir disposer de moyens légaux de réformer les règles de vie collective et d’en faire promulguer de nouvelles, mais aussi de contester les règles que les parlements viendraient d’adopter.
  1. La lutte pour de nouveaux droits politiques vient prendre place à côté de la lutte pour les droits sociaux et environnementaux. La justice veut que, pour les uns comme pour les autres, une minorité ne monopolise pas la satisfaction et la liberté que procurerait au plus grand nombre le bénéfice de ces droits. L’ensemble de ceux-ci sont constitutifs de la dignité des personnes et de leur égale liberté. Nous avons trop accepté l’idée qu’agir politiquement c’est demander aux gouvernants, plutôt qu’avoir la possibilité d’initier nous-mêmes les changements ou de les refuser. Car « la liberté politique signifie le droit de ‘’participer au gouvernement’’, ou ne signifie rien »7.
  1. Historiquement la lutte pour des droits démocratiques plus étendus – le suffrage universel8 alors – était comprise comme un moyen d’obtenir plus de droits sociaux en particulier, comme un moyen de permettre des réformes progressistes. On pourrait dire que l’histoire du suffrage universel s’est limitée en Belgique à l’extension croissante des bénéficiaires du droit de vote ou des conditions d’éligibilité, mais qu’elle doit reprendre son cours. Le suffrage doit devenir pleinement universel : l’ensemble des citoyens, pas seulement les élus, doit pouvoir voter directement et de façon régulière sur les politiques à mener.
  1. Les consultations populaires autorisées par la réforme constitutionnelle de 2014, rendues possibles en Région wallonne et depuis peu en Région bruxelloise sont un contre-exemple presque parfait de ce qu’il faudrait faire : elles ne sont pas décisionnelles, et tant les matières que les questions soumises à la consultation du public – y compris lorsque la consultation est initiée par des citoyens – sont du ressort du Parlement. C’est aussi à ce dernier qu’il revient de donner les suites qu’il jugera utiles aux résultats de la consultation. Si l’on ajoute à cela les fortes limitations quant aux questions possibles et les multiples contraintes procédurales fixées au dispositif, le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne renforcent pas réellement les droits politiques des citoyens.
  1. Face aux enjeux cruciaux que nos sociétés ont à affronter, il n’est plus possible de laisser l’ensemble des décisions politiques fondamentales – dont les citoyens vivent les conséquences en première ligne – aux seuls partis, qui ne bénéficient aujourd’hui que d’un consentement électoral faible. Il est vital que la démocratie représentative, ses institutions et ses élus, soient enchâssés dans une démocratie directe, au bain-marie des votations populaires en quelque sorte. Les partis politiques ne se percevront plus alors comme voués à décider à la place des citoyens mais comme des organisations dont la mission première sera de contribuer à « former l’opinion et la volonté populaires ».
  1. C’est pourquoi nous visons l’instauration en Belgique d’une pratique régulière des référendums – dans une première phase, au moins au niveau des régions et des communes – afin d’améliorer l’efficacité de la démocratie représentative et surtout de favoriser l’expérience politique de toutes et de tous, et de multiplier les possibilités effectives, pour les citoyen(ne)s, de délibérer et de codécider au sujet de toute question sociétale qu’ils jugent importante.
  1. Cet objectif nécessitera des actions de sensibilisation, d’information, de plaidoyer, de mobilisation ainsi que la promotion, pour tous les niveaux de pouvoir, des communes à l’Etat fédéral, des évolutions juridiques nécessaires.

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  1. Voir les dates des votations suisses des 20 prochaines années. ↩︎
  2. En général, de 8 à 9 propositions par an (moyenne calculée entre 1974 et 2024 (voir la partie Statistiques de l’Office fédéral suisse de la statistique). ↩︎
  3. La démocratie suisse est-elle prête pour l’avenir ? Moniteur de la démocratie 2023, 3 septembre 2023. ↩︎
  4. Grand baromètre : sept Belges sur dix se méfient de la politique, Le Soir, 3/04/2023. ↩︎
  5. On appelle ici « droits politiques » ceux qui permettent de participer à l’exercice du pouvoir politique. ↩︎
  6. Cornelius Castoriadis, « Une ‘’démocratie’’ sans la participation des citoyens ?’, in Une société à la dérive. Entretiens et débats 1974-1997, Seuil, 2005, p.204. ↩︎
  7. Hannah Arendt, « De la révolution », in L’humaine condition, Quarto Gallimard, 2012, p.526. ↩︎
  8. Voir Xavier Mabille, Histoire politique de la Belgique. Ed. CRISP, Bruxelles, 2000. ↩︎