Les 3 propositions

Proposition 1 : Instaurer un référendum constitutionnel à deux tours

Une Constitution est un socle sur lequel repose l’organisation d’une communauté politique. Elle est l’acte qui fonde la liberté collective. Elle distribue et organise les pouvoirs. C’est elle qui donne, ou non, aux citoyens des droits politiques : le droit d’agir politiquement, de prendre leur part de responsabilité et de retrouver une forme d’autonomie collective lucide. « Il est permis de voir dans la notion de Constitution et ce qu’on a appelé ‘le patriotisme constitutionnel’ un instrument irremplaçable à cet égard, une de ces précieuses butées opposables aux forces de dissolution des communautés historiques et des espaces publics. Mais les constitutions ne peuvent exercer cette fonction de rassemblement des collectivités politiques, si leur révision n’est pas l’occasion d’un débat auquel tous les citoyens peuvent participer »1.

Quand on y réfléchit, une chose ne peut manquer de susciter un grand étonnement (du moins chez ceux qui n’ont pas encore renoncé à l’idéal démocratique) : depuis une cinquantaine d’années, les Belges ont connu six réformes de l’État et aucune n’a fait l’objet de leur consentement. Plus généralement, jamais le peuple belge n’a pu se prononcer ni sur sa Loi fondamentale en tant que telle, ni sur ses diverses évolutions historiques, mêmes majeures, ni non plus d’ailleurs sur l’adhésion aux Traités européens ou internationaux (malgré leur impact très significatif sur les orientations et les marges de manœuvre des politiques publiques). Une septième réforme de l’État pourrait encore survenir dans un avenir proche, qui ne serait, dans le cadre des règles actuelles, pas plus que les précédentes, soumise à l’approbation du peuple belge.

Comment les choses se passent-elles aujourd’hui ? Le pouvoir législatif fédéral procède à une déclaration de révision de la Constitution (une simple liste d’articles). Les Chambres sont alors dissoutes de plein droit, ce qui entraîne l’organisation de nouvelles élections. Il est supposé que celles-ci permettront de débattre des enjeux de la révision constitutionnelle, ce qui constitue une fiction, car ces enjeux ne sont jamais explicités et débattus dans le cadre des campagnes électorales. Ce sont les Chambres nouvellement élues qui, moyennant des conditions de majorité particulières, auront à décider des modifications constitutionnelles (après négociations entre partis). Bien entendu, il n’y a pas de ratification populaire de celles-ci. En outre, l’initiative d’une révision n’appartient qu’au pouvoir législatif, il n’y a pas d’initiative populaire possible.

Nous proposons dès lors les modifications suivantes :

la fin du mécanisme de révision actuel et l’organisation des révisions constitutionnelles sur une seule législature;

la possibilité que ces révisions puissent être initiées par le pouvoir législatif fédéral, mais aussi d’initiative populaire ;

– dans les deux cas, les modifications constitutionnelles feraient l’objet d’un référendum à deux tours, une durée d’un an séparant les deux votations, par limitation prudentielle2. Le premier tour permettant de se prononcer sur plusieurs options relatives à la proposition et le second produisant la décision définitive.

Proposition 2 : Instaurer un droit d’initiative populaire décisionnelle en matière législative

© Chappatte dans Le Temps, Genève.

L’initiative populaire suisse « Contre les
rémunérations abusives », dite « Minder »
fut acceptée par le peuple et les cantons
le 3 mars 2013. Elle ajoute un nouvel
alinéa à l’article 95 de la Constitution
pour obliger toutes les SA à faire voter
l’ensemble des rémunérations « du CA, de
la direction et du comité consultatif » par
l’AG et pour leur interdire les indemnités
de départ, les rémunérations anticipées
ainsi que les primes d’achat ou de vente
d’entreprise, sous peine de 3 ans de
prison au plus et d’une amende pouvant
atteindre « 6 rémunérations annuelles ».
Le Conseil fédéral (le gouvernement) avait
recommandé le rejet de l’initiative et fait
voter, 3 ans auparavant par le Parlement un
« contre-projet indirect », beaucoup moins
restrictif, qui fut rejeté par le Conseil des
États (sénat des cantons) qui préconisait,
de son côté, un « contre-projet direct »,
plus restrictif. Le peuple suisse, in fine,
est souverain.

Jusqu’en 2014, même une simple consultation de la population (mis à part le niveau communal) était jugée inconstitutionnelle dans le cadre du système représentatif belge : celui-ci ne pouvait souffrir que les représentants de la Nation soient influencés dans l’exercice de leur mandat par une consultation populaire.

La 6e réforme de l’État a permis en 2014 que soient organisées des consultations populaires au niveau des entités régionales (cela ne concerne donc pas les autres entités fédérées). Cependant les matières relatives au budget et aux finances en sont exclues. Et la Cour Constitutionnelle doit statuer sur chaque consultation populaire, préalablement à son organisation. De plus, un décret adopté à la majorité des 2/3 doit en régler les modalités et l’organisation3.

Il est difficile de comprendre pour quelles raisons autant de précautions sont prises pour un processus dont le caractère purement consultatif est clairement affirmé. De deux choses l’une : ou la consultation populaire est purement consultative et vise bien les objectifs annoncés de participation et alors il y aurait eu lieu d’en favoriser autant que possible le déroulement par un élargissement de ses objets possibles et un assouplissement de ses conditions d’exercice. Ou elle est considérée comme quasi décisionnelle (dans la mesure où le Parlement se sentirait politiquement lié à ses résultats) et alors il faudrait jouer pleinement le jeu en reconnaissant un nouveau partage des responsabilités politiques à l’instar de la Suisse et de ses cantons, des Landers (régions) allemands ou encore de nombreux États fédérés américains.

Nous plaidons pour que soit instauré, au niveau de la Constitution, le droit d’initiative populaire décisionnelle (en principe à tous les niveaux de pouvoir, mais à tout le moins à ceux où des consultations populaires sont déjà possibles constitutionnellement) et qu’en soient assumées clairement les implications politiques et juridiques. Il s’agit bien de développer un dialogue entre le peuple et les parlements, mais sans réserver le pouvoir formel d’initiative et de décision aux seuls parlements (et gouvernements). En vue de démocratiser la vie publique et de permettre aux citoyens d’y assumer leurs responsabilités de façon directe et régulière, ceux-ci doivent pouvoir disposer, au sujet des règles de leur vie collective, d’un moyen légal de les réformer, de contester celles que le(s) Parlement(s) viendrai(en)t d’adopter ou encore d’en faire promulguer de nouvelles.

Comment introduire ce droit dans la Constitution et la législation ?

Une des voies possibles serait de mettre sur pied une Assemblée citoyenne, tirée au sort, pour délibérer préalablement du texte de cette modification fondamentale. Une fois celle-ci adoptée par le Parlement fédéral (ou par le nouveau mécanisme de révision de la Constitution présenté dans la proposition précédente), une seconde Assemblée citoyenne (au niveau de chacune des entités concernées), tirée au sort, pourrait formuler des propositions relatives aux modalités d’organisation de ces initiatives populaires décisionnelles. Il reviendrait alors aux Assemblées fédérées d’en adopter la réglementation. Celle-ci pourrait alors elle-même, le cas échéant, faire l’objet d’un référendum. C’est dans le cadre de ces Assemblées citoyennes, puis des Assemblées élues que devraient être réfléchies les conditions optimales de fonctionnement des mécanismes de démocratie directe telles que :

– l’organisation systématique d’un panel citoyen délibérant sur la question soumise à votation en vue de mieux informer les citoyens sur les enjeux de leur vote ;

la création d’assemblées de base, au niveau local, pouvant servir entre autres de lieux d’information et de débats locaux sur les décisions soumises à référendum ;

la fixation éventuelle de certaines limitations prudentielles.

Proposition 3 : Radicaliser la démocratie communale : budgets participatifs et référendums financiers

Les deux propositions précédentes concernent les décisions politiques relatives à des règles (Constitution, lois, règlements) et devraient a fortiori s’appliquer – en s’adaptant – au niveau communal4. Il devraient donc naturellement en aller ainsi des fusions de communes, pour ne prendre qu’un exemple.

Cependant, il est aussi possible et souhaitable de démocratiser d’autres types de décision. Le budget constituant le « nerf de la guerre » dans de nombreux choix politiques, il est pertinent de soumettre aux citoyens certaines décisions spécifiques dont l’impact budgétaire est particulièrement significatif, a fortiori au niveau communal.

C’est pourquoi nous proposons d’y instituer systématiquement :

– un budget participatif à l’image de celui mis en place à Porto Alegre (ville d’environ 1,4 million d’habitants) à la fin des années 80 et qui est déjà mis en œuvre, mais ponctuellement, dans certaines communes belges5.

– un référendum financier tel qu’il se pratique dans quasiment tous les cantons suisses et les communes qui en font partie.

Sur le plan des principes politiques, le budget participatif donne à l’ensemble des citoyens, à travers un processus pyramidal d’assemblées, la possibilité d’exprimer leurs besoins locaux, d’en délibérer et d’en codécider en interaction avec le Conseil municipal élu. Pour ce faire, la ville est divisée en secteurs (comportant chacun plusieurs quartiers) : des assemblées ouvertes à tous se tiennent au niveau des quartiers, puis des assemblées plénières (de même que des assemblées thématiques) au niveau des secteurs, également ouvertes à tous les habitants du secteur, et enfin un Conseil du budget participatif (composé des conseillers élus par chacune des assemblées de secteur et dont les mandats sont courts et révocables). Outre son rôle d’arbitrage des priorités des secteurs, ce Conseil a la possibilité (en interaction avec les délégués des assemblées plénières) d’analyser l’ensemble du budget municipal et d’en discuter les options, aussi bien en matière de dépenses que de recettes2.

Le référendum financier permet aux citoyens d’approuver toute dépense publique d’un certain niveau. On peut en distinguer deux grands types : les référendums obligatoires (au-delà d’un certain montant, la dépense envisagée doit être soumise à l’approbation populaire) et les facultatifs (en deçà de ce montant, les citoyens peuvent provoquer l’organisation d’un référendum).

Notes

  1. Hugues Dumont, Réflexions sur la légitimité du référendum constituant, in Variations sur l’éthique, hommage à Jacques Dabin, Publications des FUSL, 1994, p.345. ↩︎
  2. Voir B. Barber, Démocratie forte, op.cit ainsi que « Réviser la Constitution à n’importe quel prix ? », Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCLouvain, La Libre, 11 février 2012. Nous n’énonçons ici qu’une proposition démocratique générale, il y aurait bien entendu d’autres limitations prudentielles à débattre compte tenu en particulier des enjeux communautaires, des entités fédérées et du respect des droits fondamentaux. ↩︎
  3. Seul le Parlement de Wallonie a adopté depuis lors un tel décret spécial. Ainsi, celui-ci peut, à la demande d’au moins 60 000 habitants de Wallonie ou à l’initiative d’au moins la majorité simple de ses membres, décider de consulter ses habitants sur les matières de compétence régionale (moyennant d’importantes exclusions et conditions). Lorsqu’elle émane d’habitants, l’initiative doit, en outre, être soutenue par au moins 2% des habitants dans la majorité des circonscriptions électorales. Au moment d’écrire ces lignes, le Parlement bruxellois est sur le point d’adopter sa propre législation en la matière. ↩︎
  4. Certains plaideront d’ailleurs pour introduire la démocratie directe en commençant par le niveau communal. ↩︎
  5. Pour plus de précisions sur le budget participatif de Porto Alegre tel qu’il se déroulait encore fin des années 90 (depuis lors, sa portée a été nettement réduite) : entre autres www.igapura.org/porto_alegre.htm. ↩︎